Le paysage, au service de la biodiversité et de la transition énergétique

« Le paysage, au service de la biodiversité et de la transition énergétique » – tribune de janvier 2016 –(Télécharger – PDF – 130 Ko)

Tribune – Janvier 2016

Le programme de campagne du candidat François Hollande prévoyait le vote par le Parlement d’une « loi sur la biodiversité comportant un volet paysage ». La volonté de la ministre de l’Ecologie a fait de ce texte une « Loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature… et des paysages », sortant ainsi ces derniers du caractère quelque peu marginal -­‐modeste titre VI relégué en fin de texte -­‐ que leur concédait le projet de son prédécesseur.

Ce n’est pas rien.

Chez nombre de décideurs et d’aménageurs, on taxe en effet, avec une belle constance, les démarches paysagères de fantaisie inutile, coûteuse et passéiste. Le mot de paysage continue même à résonner comme une contrainte à dépasser pour les agriculteurs, les industriels, les concepteurs d’infrastructures de transport, les constructeurs de logements ou les bâtisseurs de villes, … S’y sont ajoutés depuis une décennie les producteurs ou installateurs de dispositifs de production d’énergies renouvelables, dont les récents accords de Paris vont aiguiser les ambitions … qui ne sont pas toujours philoplanétaires…

Il est en effet plus confortable pour chacun de privilégier l’approche technique sectorielle à laquelle il a été formé au détriment d’une vision globale de l’espace. Le territoire désordonné, voire chaotique, qui résulte d’une série d’interventions juxtaposées et souvent autistes, continuera alors de constituer, non seulement un facteur de mal-­‐être et un terreau de cette violence si tristement d’actualité, mais aussi un porteur d’incohérences qui seront ensuite coûteuses à réparer : murs anti-­‐bruit, passages à faune, friches industrielles ou commerciales des entrées de nos villes, inondations provoquées ou renforcées par un équipement mal placé. Sans compter une banalisation de l’espace dont pâtit le tourisme…

Mettre, 23 ans après la loi fondatrice de 1993, le mot « paysage » dans le titre d’un texte législatif est donc une affirmation politique forte.

Et que les protecteurs de la nature ne s’inquiètent pas : il ne s’agit nullement d’une captation de « leur » texte. La démarche paysagère est aussi un puissant levier de réussite de l’objectif auxquels ils sont -­‐comme nous tous-­‐ légitimement attachés : la préservation et la « reconquête » de la biodiversité.

Parler du paysage, c’est en effet parler de l’Homme dans son lien sensible avec la Nature.

C’est parler de cadre de vie, (donc) de bien-­‐être, faire appel à la perception sensible de l’espace, mobiliser nos cinq sens, solliciter l’avis de chacun d’entre nous sur la beauté actuelle et surtout future de son environnement. Le paysage nous parle des richesses naturelles d’un lieu, de sa géographie, de l’histoire de son appropriation progressive et de sa transformation continue par les populations humaines…

Les approches paysagères commencent par identifier les ressources -­‐d’abord naturelles-­‐ de chaque territoire, à prendre connaissance de son histoire et à mobiliser les habitants pour alimenter les projets. Cette « analyse inventive » est indispensable pour élaborer des solutions pertinentes car adaptées à chaque contexte, innovantes et économes. A partir de là pourront s’élaborer en consensus un projet énergétique, un nouveau quartier bas carbone, la requalification d’une zone périurbaine ou la composition d’une campagne où l’arbre et les haies auront de nouveau leur place ; mais cela facilitera aussi la mise en place effective de la trame verte et bleue, la restauration des habitats d’une espèce menacée, ou la mise en place d’une réserve naturelle que ses riverains feront fièrement visiter à leurs amis.

Ces aménagements pérennes, fondés sur les ressources du milieu, sont aussi plus égalitaires : les banlieues défavorisées ou les espaces ruraux en déprise ne sont pas les derniers à se mobiliser, en dépit de moyens souvent limités.

Le collectif « paysages de l’après-­‐pétrole » s’est créé pour affirmer et illustrer ce rôle facilitateur du paysage : élargir la question de la protection des sites remarquables à la gestion et à la transformation des paysages du quotidien, appeler l’attention des aménageurs sur les ressources que constituent, pour amorcer la transition, les singularités naturelles et humaines des territoires, favoriser les approches systémiques du développement durable en s’appuyant sur une entrée spatiale et sensible, promouvoir, enfin, la participation de tous les habitants, notamment les plus modestes ou les « derniers arrivés », à la construction de ces nouveaux paysages.

Tout en saluant comme il le mérite ce retour du paysage dans la préoccupation du Législateur, le Collectif a tenu à porter sa pierre à ce méritoire édifice, en présentant deux amendements au texte dont la discussion va commencer au Sénat :

‐ en premier lieu le projet de loi propose opportunément une définition de ces « objectifs de qualité paysagère » qu’un texte récent avait rendu obligatoires dans les Schémas de Cohérence Territoriales (SCOT). Pour éviter que le paysage soit perçu comme « une couche de plus » dans ces documents déjà exigeants, y ajoutant une sorte de contrainte de « qualité du décor », nous proposons que ces objectifs se réfèrent explicitement à la démarche de développement durable, c’est à dire qu’ils soient autant une méthode de travail qu’un résultat visuel. Il importe aussi, dans l’esprit de la Convention Européenne du Paysage, que ces objectifs soient définis avec la participation des populations concernées. L’ajout de ces quelques substantifs : « développement durable », « participation des populations » serait un nécessaire garde-­‐fou pour éviter contresens, incompréhensions et rejets, et susciter au contraire l’adhésion.

‐ en second lieu la toute récente loi sur la « transition énergétique » n’a pas, dans ses multiples dispositions, prévu de mobiliser le paysage parmi les outils facilitateurs de la mobilisation des territoires dans les démarches vers l’énergie positive entreprises par nombre d’entre eux. A l’inverse, quand on accole « territoires » et « énergie » c’est le « non aux éoliennes » qui domine ! Nous proposons donc (comme une illustration de pleine actualité de l’amendement précédent) que les démarches locales vers la transition énergétique, dites « plans climat-­‐énergie territoriaux », prennent appui « sur les facteurs naturels et humains qui ont constitué le caractère propre du territoire (en d’autres termes sur son paysage), et, le cas échéant, sur les objectifs de qualité paysagère que celui-­‐ci s’est donné ».

La « belle et grande politique du paysage » annoncée il y a un plus d’un an par la ministre de l’écologie devrait ainsi recevoir en 2016, une traduction législative dont chacun se réjouira.

Il importe à cet égard d’éviter tout risque de contresens mais aussi d’établir le lien entre les deux grandes lois environnementales du quinquennat qui s’achève.

Il importe donc, en cette solennelle occasion que constitue toujours le vote d’une Loi, de bien afficher le paysage comme une voie fédératrice, participative et solidaire au service de la transition énergétique et du maintien de la biodiversité.

Signataire : Régis Ambroise
pour le Collectif Paysages de l’après-­‐pétrole